Je vous verrai demain, mais je veux vous écrire. Je veux arrêter ces moments fugitifs qui se termineront par ma perte. Je vous écris d’une main tremblante, respirant à peine et le front couvert de sueur.
· Camille Claudel à Auguste Rodin 1886
Je suis bien fâchée d’apprendre que vous êtes encore malade. Je suis sûre que vous avez encore fait des excès de nourriture dans vos maudits dîners, avec le maudit monde que je déteste, qui vous prend votre santé et qui ne vous rend rien.
· François Mauriac à Jeanne Lafon 1912
Autrefois, ivre de mes petits succès, dévoré d’orgueil, je vous eusse fait souffrir. Aujourd’hui, blessé par la vie, je me réfugie en vous. Je ne vis que de votre tendresse. Toute autre femme me paraît inexistante. Je vous aime.
· Juliette Drouet à Victor Hugo 1864
Bonjour, petit oiseau, bonjour et merci, porte ce baiser à mon Toto et dis-lui de venir tout de suite me voir et que je l’adore.
· Chateaubriand à Léontine de Villeneuve 1828
Mais si vous vous avisez d’aimer quelqu’un et de l’épouser, ma tête grise se présentera à vous la nuit, comme la tête de Méduse, et je partirai avec tous mes rhumatismes pour vous étrangler.
· Voltaire à Madame Denis 1745
Je vous embrasse mille fois. Mon âme embrasse la vôtre, mon vit et mon cœur sont amoureux de vous. J’embrasse votre gentil cul et votre adorable personne.
Comme je ne voudrais pas que vous disiez que je ne vous ai pas écrit, parce que je ne vous ai effectivement pas écrit, je vous écris.
Ce ne sera pas seulement une ligne, comme je vous l’ai promis, mais ce ne seront pas plusieurs non plus.
Je suis malade, en grande partie en raison d’une série de préoccupations et de contrariétés que j’ai eues hier.
Si vous ne voulez pas croire que je suis malade, évidemment vous ne le croirez pas.
Mais je vous prie de ne pas me dire que vous ne me croyez pas.
Il me suffit déjà d’être malade : il n’est pas nécessaire en plus que vous en doutiez ou que vous me demandiez des comptes sur ma santé comme si elle dépendait de ma volonté ou que je sois obligé de rendre des comptes à quelqu’un de quoi que ce soit.
Voilà ce que j’avais à vous dire et, par hasard, c’est la vérité. Adieu, petite Ophélia. Dormez, mangez et ne perdez pas trop de poids.
Et le texte portugais :
Ophelinha pequena:
Como não quero que diga que eu não lhe escrevi, por efectivamente não ter escrito, estou escrevendo. Não será uma linha, como prometi, mas não serão muitas. Estou doente, principalmente por causa da série de preocupações e arrelias que tive ontem. Se não quer acreditar que estou doente, evidentemente não acreditará. Mas peço o favor de me não dizer que não acredita. Bem me basta estar doente; não é preciso ainda vir duvidar disso, ou pedir-me contas da minha saúde como se estivesse na minha vontade, ou eu tivesse obrigação de dar contas a alguém de qualquer coisa.
Ora aí tem, e, por acaso é a verdade. Adeus, Ophelinha. Durma e coma, e não perca gramas.
· George Sand à Alfred Musset: une lettre qui se lit en sautant un vers sur deux… (cette pudeur serait-elle ridicule ?)
Je suis très émue de vous dire que j’ai bien compris l’autre soir que vous aviez toujours une envie folle de me faire danser.
Je garde le souvenir de votre baiser et je voudrais bien que ce soit là une preuve que je puisse être aimée
par vous.
Je suis prête à vous montrer mon affection toute désintéressée et sans calcul, et si vous voulez me voir aussi
vous dévoiler sans artifice mon âme toute nue, venez me faire une visite.
Nous causerons en amis, franchement.
Je vous prouverai que je suis la femme sincère, capable de vous offrir l’affection la plus profonde comme la plus étroite
en amitié, en un mot la meilleure preuve dont vous puissiez rêver, puisque votre âme est libre.
Pensez que la solitude où j’habite est bien longue, bien dure et souvent difficile.
Ainsi en y songeant j’ai l’âme grosse.
Accourrez donc vite et venez me la
faire oublier par l’amour où je veux me mettre.
· François Mitterrand à Anne Pingeot
Je ne vous ai pas dit mon secret:
Je ressemble à un coquillage de façon si troublante
Qu’on me prend pour un coquillage.
On me pousse du pied.
On me jette à la mer.
On me garde dans la poche.
On m’ajoute au décor, sur un rayon de livres.
Bref, on me traite en objet inutile.
Il arrive pourtant qu’un enfant me ramasse, me regarde et m’aime.
Et quand on m’aime,
Apprenez-le à tout hasard,
C’est comme si tous les océans du monde, tous les ciels, tous les
continents se donnaient rendez-vous.
Rendez-vous.
Où ?
J’allais écrire: dans mon cœur. Dans mon cœur ?
Ridicules ces lettres ?…
Mais si elles ne l’étaient pas, cela prouverait, selon Pessoa, que l’amour n’est pas là….
Connaissez-vous cette poésie du poète portugais Fernando Pessoa ? En portugais “Todas as cartas de amor são ridículas”
Dans cette vidéo, la voici dite en trois langues (superbement) par Maria de Medeiros
Álvaro de Campos, in “Poemas” . Heterónimo de Fernando Pessoa
La voici dite par Maria Bethania, avec son bel accent brésilien :
(*) Proparoxytonique :
s’applique à un mot dont l’accent tonique appuie sur l’antépénultième syllabe (ce qui constitue une exception dans une langue comme le portugais où il est le plus souvent marqué sur l’avant-dernière). Notons que l’adjectif portugais esdrúxulo qui signifie proparoxytonique porte justement l’accent tonique sur la syllabe drú. Ce mot est donc autoréférent.
Sous la plume de Pessoa, s’appliquant aux mots ou aux sentiments, l’adjectif esdrúxulo peut s’interpréter comme saugrenu.
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