Adonis Diaries

Archive for January 5th, 2023

A new book by Badr el-Hage et l’ancien diplomate Samir Moubarak,

Diaspora Liban

À quoi ressemblait Beyrouth de 1840 à 1918 ?

Après des années de travail de recherche, le spécialiste du Moyen-Orient Badr el-Hage et l’ancien diplomate Samir Moubarak, collectionneurs respectivement de photos et de livres sur la région, viennent de publier « Beirut 1840-1918, a Visual & Descriptive Portrait ».

À travers des photos et des récits d’époque, l’ouvrage offre un voyage dans le temps au message puissant. Une exposition autour de l’ouvrage se visite jusqu’au 26 mai 2023 au musée Nabu*.

OLJ / Par Tarek RIMAN, le 24 décembre 2022

À quoi ressemblait Beyrouth de 1840 à 1918 ?

La rue Fachkha était l’une des principales rues de Beyrouth au XIXe siècle. Elle a ensuite été élargie et rebaptisée rue Weygand pendant le mandat français.

À gauche, on aperçoit l’hôtel Bellevue III et le New Royal. La partie droite de cette image montre que les bâtiments ont été démolis par l’Empire ottoman afin d’élargir la rue pour des raisons de sécurité, en prévision et prévention de la guerre (de 1843 à 1914). Photo anonyme, 1916 – fait partie de la collection du musée Nabu

C’était Beyrouth. Capitale du « Holy Land », La Terre sacrée, comme l’avait appelée le missionnaire protestant William McClure Thomson dans son livre The Land and the Book – 1859 (La terre et le livre) en faisant référence, entre autres, au vilayet (nom attribué aux provinces de l’Empire ottoman) de Beyrouth.

La Terre sacrée l’était par son archéologie façonnée par des monuments aussi bien islamiques que phéniciens et romains, sa nature à la faune, la flore et la géologie variées, faisant la richesse de ses paysages, comme les photos en témoignent.

C’était Beyrouth. Ville majeure d’un « paradis terrestre » pour Lamartine, « Éden que toutes les nations ont dans leurs souvenirs, soit comme un beau rêve, soit comme une tradition d’un temps et d’un séjour plus parfait où la nature surpasse infiniment l’imagination ».

Le poète français, transcendé par la beauté du lieu, finira par écrire dans Voyage en Orient (1832-1833) : « Dieu n’a pas donné à l’homme de rêver aussi beau qu’il a fait. J’avais rêvé Éden, je puis dire que je l’ai vu. »

Le palais Geday était situé à Zokak el-Blatt, qui était alors l’un des quartiers les plus riches de Beyrouth, célèbre pour ses belles résidences entourées de jardins. Le palais Geday était l’une d’entre elles, où vivaient de grands commerçants, des missionnaires étrangers ou encore des consuls.

Il fut pendant un temps la résidence du consul général de France. Disparu aujourd’hui, probablement aux alentours des années 1930, l’école Saint-Joseph de l’Apparition le remplace. Louis Vignes, octobre 1862 – fait partie de la collection du musée Nabu

Beyrouth, du cabotage au sabotage

Avant de devenir la capitale que nous connaissons aujourd’hui, Beyrouth est pendant longtemps restée un village de passage, un petit port de cabotage pour le commerce de la soie.

« Née » il y a 6 000 ans, elle se développera vers la fin de l’Empire romain, au Ve siècle, notamment grâce à son école de droit, avant de redevenir modeste.

C’est lors de l’apparition de la loi de l’offre et de la demande sur les échanges à la fin du XVIIIe siècle, qui brisera les monopoles de commerce et attirera des industriels anglais, italiens et français, que l’économie de la ville repartira.

À partir du début du XIXe siècle, Beyrouth deviendra rapidement la place économique la plus importante de l’Est méditerranéen, avant de devenir aussi la place diplomatique, politique, culturelle et touristique la plus importante de la région.

Durant toute une période, l’étoile du Liban brillait, rayonnait, elle était une ville moderne, multilinguiste et multiculturelle.

La densité et la complexité de l’histoire de Beyrouth lui ont façonné cette identité si singulière. Depuis toujours cité de brassage de cultures et de civilisations, maintes fois détruite puis reconstruite, léguant ainsi en héritage une archéologie riche, façonnée par des monuments aussi bien islamiques que phéniciens et romains.

L’aménagement de l’espace et des espaces publics dont témoignent les photos, tels que des places, des souks, des bâtiments, des rues et de larges allées, était à l’image de son ouverture sur le monde.

Cité d’architecture et de nature, à la faune, la flore et la géologie variées, dont les descriptions détaillées des amandiers, des oliviers, des figuiers, des grenadiers de la ville, ou encore des sycomores, des buissons de cactus ou des cyprès, témoignent d’une harmonie d’antan avec l’environnement.

Difficile aujourd’hui d’imaginer que Achrafieh, Mousseitbé, Ras Beyrouth ou encore Saïfi étaient des fermes, des vergers, des bosquets où l’on faisait pousser oranges, grenades, baies et loquats (nèfles).

Les fleurs de jasmin, les violettes, les narcisses et les roses ornaient les murs extérieurs des maisons, poussaient autour des fontaines, au milieu des cours. Les quartiers portaient des noms d’arbre : Gemmayzé (le sycamore), Zeitouné (l’olivier), el-Kharouba (le caroubier), el-Tiné (le figuier), Snoubra (le pin), dont certains existent encore, mais n’en auront gardé que le nom…

Lamartine ne se doutait sûrement pas que, peu de temps après son voyage, son Éden allait commencer à disparaître, devenir un « souvenir, un beau rêve », comme il l’écrivait, mais au sens littéral du terme.

Les maisons et les palaces ont ensuite été démolis, d’abord pour des raisons de sécurité sous l’Empire ottoman à partir de 1843 puis à cause de l’absence de règles d’urbanisme prenant en compte l’histoire et l’héritage de la ville. La végétation a été sacrifiée, remplacée par de grands bâtiments construits au-dessus des ruines de la capitale, de ses monuments historiques et de ses vergers fructueux. Une transformation digne d’un scénario dystopique… mais bien réelle. S’il était encore parmi nous, qu’aurait pensé William McClure Thomson de ce que notre capitale est devenue aujourd’hui ? Qu’est-ce qu’il aurait écrit sur la destruction de nos monuments, de nos montagnes transformées en carrières, de nos animaux disparus, de la perte de notre héritage… d’« un Holy Land » ?

C’était le jardin de la place des Martyrs jusqu’en 1916, connue sous le nom d’al-Bourj (place des Cannons). En 1878, le gouverneur ottoman de Beyrouth Fakhri bey terminait ce jardin, reproduction d’al-Azbakiyya au Caire. Témoin de nombreux événements politiques, la place était aussi un lieu de rencontre où les familles beyrouthines venaient se retrouver. Célèbre pour ses théâtres, ses cinémas et ses cafés, elle était l’un des lieux de retraite et d’escapade préférés des Libanais, surtout pendant les vacances et les week-ends. Aujourd’hui, c’est un parc vide… pour les voitures, sans un seul arbre. Photo anonyme, 1890 –collection du musée Nabu)

C’était le jardin de la place des Martyrs jusqu’en 1916, connue sous le nom d’al-Bourj (place des Cannons). En 1878, le gouverneur ottoman de Beyrouth Fakhri bey terminait ce jardin, reproduction d’al-Azbakiyya au Caire. Témoin de nombreux événements politiques, la place était aussi un lieu de rencontre où les familles beyrouthines venaient se retrouver. Célèbre pour ses théâtres, ses cinémas et ses cafés, elle était l’un des lieux de retraite et d’escapade préférés des Libanais, surtout pendant les vacances et les week-ends. Aujourd’hui, c’est un parc vide… pour les voitures, sans un seul arbre. Photo anonyme, 1890 –collection du musée Nabu)

Un ouvrage qui témoigne de notre héritage

Badr el-Hage et Samir Moubarak, collectionneurs respectivement de photos et de livres sur la région depuis des dizaines d’années, deux amis de longue date qui portent le même regard sur Beyrouth, ont décidé d’unir leurs collections, leurs passions et leurs connaissances respectives pour travailler à l’élaboration de l’ouvrage, fruit de quatre longues années de travail, de persévérance et d’investigations. Une partie des clichés sont en ce moment exposés au musée Nabu.

Le spécialiste du Moyen-Orient libanais Badr el-Hage, qui a déjà écrit et publié plusieurs livres du même type sur la région, tels que Des photographies à Damas 1840-1918 (Marval, 2020), affirme posséder l’une des collections de photos sur la région les plus complètes. Indispensables à la réalisation de l’ouvrage Beirut 1840-1918, a Visual & Descriptive Portrait, une grande partie de ses clichés proviennent de photographes étrangers, car « l’histoire visuelle de Beyrouth faite par des locaux est nulle, quasi existante », explique-t-il à L’Orient-Le Jour. La plupart des studios de Beyrouth ayant été détruits au XIXe siècle, il n’y aurait que très peu d’archives, et ce qui restait des productions locales aurait disparu pendant la guerre (1975-1990).

Le photophile évoque les richesses de la photo amateur rendue possible grâce à la démocratisation de la photographie aux alentours des années 1880 (NDLR : apparition du Kodak en 1888). Selon Badr el-Hage, l’amateurisme aurait introduit une nouvelle manière de photographier la ville, plus détaillée, qui aurait ainsi permis l’apparition de nouveaux lieux sur les photos, par lesquels les professionnels n’étaient pas intéressés, peu intéressants pour des fins commerciales. Les contenus visuels produits à partir de la fin du XIXe siècle initient donc le développement d’une perspective objective sur Beyrouth qui, complétés par les écrits et les descriptions de la ville dans les livres de Samir Moubarak, « permettent un partage des points de vue personnels et individuels de monsieur et madame Tout-le-Monde », affirme ce dernier.

Vue du quartier Medawar au début du XXe siècle. C’est sur les arches, que l’on peut voir à droite, que circulait le train. Photographe anonyme, 1918

Vue du quartier Medawar au début du XXe siècle. C’est sur les arches, que l’on peut voir à droite, que circulait le train. Photographe anonyme, 1918

Les récits sur Beyrouth qui se trouvent dans la collection de l’ancien diplomate libanais sont souvent écrits par des étrangers (allemands, français, slovaques, slovènes, tchèques, etc.), principalement des touristes ou des pèlerins en visite ou de passage, donc sans aucune attache familiale, économique ou politique particulière, qui décrivent la ville de manière personnelle et objective.

Ainsi, cet ouvrage approfondi et objectif sur l’histoire de la ville durant la période n’aurait pas été rendu possible sans la mise en commun de leurs propres collections, construites avec patience et passion pendant des décennies, dont ils connaissent les secrets. Ce mariage inédit entre la photo et le texte offre pour la première fois une histoire visuelle complète de la ville d’époque, véritable témoin de l’évolution de ses rues et de ses quartiers, et comble les trous des livres d’histoire qui se concentrent sur quelques lieux seulement.

Rédigé en anglais, ce livre contient près de 300 pages explicatives qui accompagnent les photos qui, pour la plupart, n’ont jamais été publiées. Beirut 1840-1918, a Visual & Descriptive Portrait retrace ainsi l’histoire de Beyrouth en s’appuyant sur un travail de recherche minutieux qui permet de rendre compte avec détail des transformations de la ville durant la période. La première partie du premier volume comprend six chapitres sur l’histoire de la photographie beyrouthine entre 1840 et 1918, tandis que la seconde comprend onze chapitres qui traitent de l’histoire de divers points de repère et aspects de Beyrouth, tels que le port, la côte, l’architecture, y compris les bâtiments religieux et résidentiels, les rues, les professions, et des événements tels que la famine et les bombardements par les puissances étrangères. Le texte est accompagné de photographies anciennes, permettant ainsi une véritable immersion dans l’histoire de la ville d’époque. Le second volume est consacré uniquement aux photographies, et divisé en catégories, telles que le port, la vieille ville, la côte, les rues, l’architecture, la décoration intérieure, les costumes, etc.

Il s’agit d’une vue prise depuis Sioufi, sur la colline d’Achrafieh. Elle montre l’entrée nord de Beyrouth, d’Achrafieh à Dbayé. En moins de cent ans, les zones agricoles ont été remplacées par des zones urbaines. Photo frères Sarrafian, 1915 – fait partie de la collection du musée Nabu

Il s’agit d’une vue prise depuis Sioufi, sur la colline d’Achrafieh. Elle montre l’entrée nord de Beyrouth, d’Achrafieh à Dbayé. En moins de cent ans, les zones agricoles ont été remplacées par des zones urbaines. Photo frères Sarrafian, 1915 – fait partie de la collection du musée Nabu

La ville qui ne meurt jamais

Selon les deux érudits libanais, toutes les sociétés traversent des périodes sombres qui finissent toujours par se résoudre. Aujourd’hui, Beyrouth disposerait de toutes les capacités économiques, culturelles et humaines pour se reconstruire : « C’est une ville increvable, nous ne devons pas être pessimistes, nous disposons de toutes les ressources nécessaires, insiste Samir Moubarak, Quand l’économie va renaître, Beyrouth va redevenir le «number one» diplomatique, économique et culturel dans la région. Je suis très optimiste. »

Ainsi, chaque photo et chaque ligne du texte de leur ouvrage, à travers les jardins, la beauté architecturale et les bâtiments prestigieux, cherchent à montrer la richesse de l’héritage perdu de cette ville il y a une centaine d’années et « à quel point c’est devenu moche, à quel point cet héritage a été détruit », confie Badr el-Hage.

Beirut 1840-1918, a Visual & Descriptive Portrait est un témoignage des capacités de reconstruction, d’adaptation et d’évolution de Beyrouth, où chaque cliché est un document historique, une trace du passé, un morceau d’une mémoire oubliée, qu’il est impératif de reconstruire. Badr el-Hage, en concluant son discours lors de l’ouverture de l’exposition au musée Nabu le 26 novembre, rappelait que « le livre est là pour comprendre ce que Beyrouth était puis est devenue aujourd’hui. Je vous laisse décider et agir en conséquence ». Agir pour que le cauchemar que nous vivons ne soit qu’un mauvais souvenir et que le rêve de Lamartine redevienne réalité, que son Éden renaisse de ses cendres. Beyrouth, souvent surnommée « la ville qui ne meurt jamais », comme un Phénix renaîtra.

Comme le dit le proverbe japonais : « Une image vaut mille mots. » Alors, voici quelques images accompagnées de quelques mots…

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